01/10/2009
Enjeux de la création numérique
Conférence de Ricardo MBARKHO et Marika DERMINEUR
À l’occsion de CREA NUMÉRICA 09
Sans prétention à recouvrir l’ensemble des enjeux auxquels fait face l’Art numérique, les conférenciers ont proposé une entrée en matière en rappelant les principaux questionnements ouverts depuis les années 80 : les enjeux de la création numériques les modalités collaboratives de création, la création de bases de données et le codage dans un même langage de l’image du son et du texte, la question du copy right (la question des monopoles comme Google, la question du développement de logiciel de langage et la question des copy rights des fragments d’œuvres recyclées) D’autres questionnements ont été évoqués tels que celui de l’émergence d’œuvres auxquelles le public participe et où l’artiste n’est pas celui qui s’exprime mais qui s’efface derrière le programme qu’il a créé et où le public intervient et génère l’œuvre visible ; ou encore celui du passage de « l’artivisme » au « Hacktivisme », quelles sont les nouvelles règles du jeu et postures des artistes ?
L’art numérique ne se limite pas à la création d’un espace virtuel qui servirait à la simple transmission d’œuvres par les artistes, il génère un langage. « Le médium impose une méthode d’assimilation » selon Ricardo Mbarkho. L’art numérique n’a pas vraiment de penseurs de référence mais connaît plusieurs sources d’inspiration telles que le Pop Art, l’Art conceptuel, le collage, la notion du « non-stop » et de non-achèvement des œuvres…
On assiste à la création de règles visuelles par les artistes
Ricardo et Marika nous donnent l’exemple du collectif d’artistes Jodi (ou jodi.org) qui opère un travail autour de la fabrication de l’image par la transposition de la page affichée vers des codes sources (prenant par exemple la forme d’une bombe hydrogène dans l’œuvre wwwwwwwww.jodi.org). Un autre exemple serait celui du travail de Marc Napier, qui s’intéresse à l’esthétique d’Internet par le biais de l’url, de la question du parsing, et de la transcription des œuvres de divers médium (image en son, texte en image…) On retrouve ces questionnements dans les œuvres de Antidatamining, où l’on assiste à un détournement de flux financiers sous forme graphique, ou encore dans certaines œuvres de Ricardo présentées dans l’exposition Visuels Numériques du Liban
Avant l’ère du numérique, selon Ricardo, l’artiste affirmait son positionnement dans l’Art en reflétant son background socio-politique Des innovations, telles que la télé-présence, le réseau des réseaux, la télécommunication… ont influencé la collaboration locale et internationale entre les artistes, la construction des relations… et on assiste, souligne Marika à l’apparition de nouvelles formes d’intervention comme celle du Piratage/ activisme, « Hacktivism »
Au Liban, le numérique affecte le quotidien, notamment au niveau des questions de la globalisation, il a permis une plus grande ouverture, et une certaine remise à plat dans les rapports avec le monde. Par ailleurs, le numérique dans la sphère du divertissement (Star Académie, chaînes du satellite…) affecte les comportements (le zapping, l’envoi de sms…) et les pratiques des individus (Ricardo donne l’exemple de la vielle femme à son balcon qui à présent regarde le monde de son canapé à travers les chaînes câblées de sa télé…)
De même, l’esthétique des productions du télévisuel va vers « l’anamorphisme ». Par exemple, sur un même écran on retrouve la diffusion de sms au bas de l’écran, ainsi qu’une bande diffusant l’actualité, une ligne consacrée aux publicités… Le numérique a donc modifié l’esthétique des productions télévisuelles
Marika et Ricardo ont ensuite soulevé le changement des rôles par le numérique : qui est artiste ? Le numérique accentue le brouillage des rôles (diffusion, production…)
L’artiste/ auteur crée un programme qui transforme le spectateur en participant ayant la possibilité de modifier l’œuvre en y intégrant de nouveaux paramètres.
Cette variable change le rapport à l’artiste et à l’œuvre. Les conférenciers se réfèrent au monde de l’hypermatérialité évoqué par Bernard Stiegler : Les relations se tissent en dehors de notre portée matérielle. Les pratiques numériques seraient dans cette logique une sorte de préparation des consciences et des corps aux pratiques futures
Par ailleurs, de nombreuses œuvres posent la problématique du pouvoir et du contre-pouvoir, notamment par la pratique du détournement
Marika donne l’exemple de sites imitant le statut visuel et interactif de certains sites d’information, et diffusant des informations détournées, renvoyant aux problématiques de l’accès à l’information, du type d’information diffusée…
D’autres questionnent la domination capitaliste d’Internet et la surveillance via Internet. Par exemple, le programme Echelon est utilisé par les gouvernements américains et anglais pour surveiller les envois mails via l’analyse de mots clés tels que « terroriste », « combat »… ce dernier s’est trouvé saturé par l’envoi en masse de mails contenant ces termes, sur l’initiative d’une action lancée par des artistes
Internet porte des activités humaines de toutes sortes, les pratiques du Net Art ont donc dès le début été vers des pratiques de détournement numérique portant sur l’extradisciplinarité et touchant des domaines non artistiques. Ricardo illustre ce propos par l’exemple de Velvet Strike, un détournement du jeu vidéo Counter Strike
L’œuvre Google will eat itself repose sur un réseau caché de sites qui affichent des publicités Google. L’argent que leur verse Google pour ces pubs est directement utilisé pour l’achat de parts de cette même compagnie entraînant un « auto-cannibalisme » de Google. Ces œuvres ne sont pas exposables, ce sont des processus actifs auxquels il est possible d’assister en ligne.
Une réflexion liée aux problématiques du pouvoir par les nouvelles technologies et au « Digital Gap » est menée par certains acteurs internationaux tels que l’UNESCO au Liban : Comment permettre aux pays qui ne produisent pas de la technologie d’avoir un comportement de participation innovatrice, et non pas uniquement une attitude de consommateur. Ricardo souligne la conscience au Liban de la nécessité de s’approprier, de modifier et de se questionner sur ces problématiques. C’est un pays d’échange, de rencontre ce qui permet de rester au fait des questionnements d’actualité mondiale.